Comme c'est bien dit !  Et vous, avez vous expérimenté au moins une fois un vrai bivouac ? (sans tente)

 

 

"La nuit est un temps de mortelle monotonie sous un toit ; en plein air, par contre,elle s 'écoule légère parmi les astres et la rosée et les parfums. Les heures y sont marquées par les changements sur le visage de la nature. Ce qui ressemble à une mort momentanée aux gens qu'étouffent murs et rideaux n'est qu'un sommeil sans pesanteur et vivant pour qui dort en plein champ. La nuit entière il peur entendre la nature respirer à souffles profonds et libres. Même lorsqu'elle se repose, elle remue et sourit et il y a une heure émouvante ignorée de ceux qui habitent les maisons : lorsqu'une impression de réveil passe au large de l'hémisphère endormi et qu'au dehors tout le reste du monde se lève. C'est alors que le coq chante pour la première fois. Il n'annonce point l'aurore en ce moment, mais comme un guetteur vigilant, il accélère le cours de la nuit. Le bétail s'éveille dans les près ; les moutons déjeunent dans la rosée au versant des collines et se meuvent parmi les fougères, vers un nouveau pâturage. Et les chemineaux qui se sont couchés avec les poules ouvrent leurs yeux embrumés et contemplent la magnificence de la nuit.

 

Par quelle suggestion informulée, par quel délicat contact de la nature, tous ces dormeurs sont-ils rappelés vers la même heure, à la vie ? Est-ce que les étoiles versent sur eux une influence ? Ou participons nous d'un frisson de la terre maternelle sous nos corps au repos ? ...Vers les deux heures du matin, les êtres bougent de place...Nous ne sommes troublés dans notre sommeil, comme le voluptueux Montaigne « qu'afin de le pouvoir mieux savourer et plus à fond ». Nous avons instant pour lever les yeux vers les étoiles. Et c'est un réelle jouissance de penser que nous partageons avec toutes les créatures qui sont au dehors dans notre voisinage, que nous nous sommes évadés de l'embastillement de la civilisation et que nous sommes devenus de véritables et braves créatures et des ouailles du troupeau de la nature.

 

Lorsque cette heure arriva pour moi dans la pinède, j'ouvris les yeux, mourant de soif. Mon gobelet se trouvait sous ma main, à demi plein d'eau. Je le vidai d'un trait et me sentant bien éveillé après cette froide aspersion interne, je m'installai sur mon séant afin de rouler une cigarette. Les étoiles étaient claires, vives et pareilles à des joyaux, nullement glacées. Une faible buée d'argent embrumait l voie lactée. Autour de moi les cimes noires des pins se dressaient immobiles...

 

Pas d'autre bruit, sinon le tranquille, l'intraduisible murmure du ruisseau sur les pierres. J'étais paresseusement étendu à fumer et à m'émerveiller de la couleur du ciel, comme nous nommons le vide de l'espace. Il s'y découvrait un gris rougeâtre derrière les pins jusqu'à l'endroit où apparaissait un vernis d'un noir bleuté entre les étoiles...

 

Une brise molle ressemblant davantage à une fraîcheur mouvante qu'à une poussée de vent balayait de haut en bas, par instant, la clairière. En sorte que dans ma vaste chambre l'air se renouvelait la nuit entière. … Je n'avais pas souvent éprouvé plus sereine possession de moi-même ni senti plus d'indépendance à l'endroit des contingences matérielles. Le monde extérieur de qui nous nous défendons dans nos demeures semblait somme toute un endroit délicieusement habitables. Chaque nuit, un lit y étais préparé, eût-on dit, pour attendre l'homme dans les champs où Dieu tient maison ouverte. Je songeais que j'avais redécouvert une de ces vérités qui sont révélés aux sauvages et qui se dérobent aux économistes. Du moins, avais-je découvert pour moi une volupté nouvelle....

 

 

 

Quand je m'éveillai de nouveau, beaucoup d'étoiles avaient disparu. Seules les plus éclatantes compagnes de la nuit brûlaient toujours visibles au-dessus de ma tête. Au loin, vers l'Est, j'aperçus une mince brume lumineuse sur l'horizon, comme il y en avait pour la voie lactée, lorsque je m'étais éveillé la fois d'avant.... Le brouillard bleuâtre s'étendait dans le vallon où j'avais si agréablement dormi. Bientôt, une large bande orange nuancée d'or, enveloppa le faîte des monts du Vivarais. Une grave joie posséda mon âme devant cette graduelle et aimable venue du jour....Rien n'étais changé, sinon la lumière et, en vérité, elle épandait tout un flot de vie et de paix animée et me plongeait dans une étrange jubilation....Dix minutes après la lumière du soleil inondait au galop le flanc des collines. Le jour était tout à fait venu.

 

 

 

J'avais été très hospitalièrement reçu et ponctuellement servi dans mon vert caravansérail. La chambre était aérée, l'eau excellente et l'aurore m'avait appelé à l'heure voulue. Je ne parle pas de la décoration, de l'inimitable plafond, non plus que de la vue que j'avais de mes fenêtres. Mais j'avais le sentiment d'être en en quelque manière débiteur de quelqu'un pour toute cette généreuse réception. Aussi me plut-il, en façon de demi-plaisanterie, d'abandonner en partant quelques pièces de monnaie sur le sol, jusqu'à ce qu'il y en eût de quoi payer mon logement de la nuit. J'espère que cet argent n'est point tombé entre les mains de quelque vulgaire et riche roulier."

 

 

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"Devais-je payer mon logement de cette nuit-ci ? J'avais mal dormi. Le lit était plein de puces sous les espèces de fourmis. Il n'y avait point d'eau dans la chambre. L'aurore elle-même avait négligé de m'appeler au matin. J'aurais pu avoir manqué un train s'il y en avait eu un à prendre dans le voisinage. Bref j'étais peu satisfait de l'hospitalité et j'avais résolu de ne point payer, sauf si je faisais rencontre d'un mendiant. Je fis ma toilette dans l'eau du Tarn. Elle était merveilleusement pure, froide à donner le frisson....Me baigner dans une des rivières de Dieu en plein air me paraît une sorte de cérémonie intime ou l'acte d'un culte païen. Barboter parmi les cuvettes dans une chambre peut sans doute nettoyer le corps, mais l'imagination n'a point de part à pareil lessivage...

 

Soudain surgit une vieille femme qui, à brûle pourpoint, sollicita l'aumône. Bon, pensai-je, voici venir le garçon et l'addition ! Et je réglai sur le champ mon logement de la nuit.

 

Prenez ça comme il vous plaira, mais ce fut là le premier et le dernier mendiant rencontré de toute mon excursion."

 

 

 

RL Stevenson