...au sujet du Chemin



 

Je voudrais te transmettre le frisson des départs dans l'allégresse des matins silencieux

 

Xavier Grall

 

Celui qui va lentement, arrivera lentement

 

Milarepa

 

Il n'en finit pas le Chemin

il est en moi, je suis en lui

il s'efface quand je le fuis

je crois le suivre, il me dépasse

 

Marc Baron

 

Nous sommes ensemble des pèlerins qui à travers des pays inconnus, se dirigent vers leur patrie. Que pour vous maintenant et à jamais le jour se lève et les ombres s'enfuient.

 

Fra Angelico

 

Nous sommes entre deux chemins invisibles. Celui dont on vient, celui qui vient vers nous. Allons-y courageusement.

 

Jean Carteret

 

Si tu vas au bout du monde tu trouveras la trace de Dieu,

si tu vas au bout de toi-même tu trouveras Dieu lui-même.

 

Madeleine Delbreil

 

 

Je perçois le Chemin comme une nouvelle croissance, c'est le principe de  quand je serai grand. On imagine plus de choses qui se réalisent ou pas. Plus que de la religiosité ou de la spiritualité, il y a de l'initiatique dans ce Chemin : on retrouve un but, mais un but pour rien parce qu'aller à St Jacques ça ne sert à rien, ce n'est pas utilitaire.

Je fais le lien avec une opération chirurgicale : c'est enlever une tumeur et repartir dans la vie. Si on réussit son voyage, on repart guéri d'une blessure ou d'une plaie ouverte.... C'est une reconquête du moi.

 

Marcel Rufo

 

Compostelle n'est pas un pèlerinage chrétien. Il n'appartient en propre à aucun culte et, à vrai dire, on peut y mettre tout ce que l'on souhaite. S'il devait être proche d'une religion, ce serait à la moins religieuse d'entre elles, celle qui ne dit rien de Dieu mais permet à l'être humain d'en approcher l'existence : Compostelle est un pèlerinage bouddhiste.

 

Jean-Christophe Rufin

 

 

Une différence entre une rencontre sur le Chemin et dans la rue : la sincérité est présupposée. On ne calcule pas, on marche. Les échanges sont spontanément sincères. La fraternité existe, on la rencontre.

 

Sur le Chemin de St Jacques se crée une société de l'amitié. Le marcheur d'à côté est présumé sincère. Ici, on ne se méfie pas de son voisin. On se parle, on se questionne, on s'écoute. Les pieds de l'autre deviennent une préoccupation personnelle. Il n'y a pas de hiérarchie 1=1. C'est une petite société, voire une petite république, : liberté égalité, fraternité. Celui qui souffre en chemin reçoit compassion, aide encouragement.

 

Jean-Pierre Raffarin

 

A l'affût des signes indispensables pour orienter la marche, aux aguets de ses émotions qui surgissent, entre la beauté de la route et les souvenirs qui remontent à la surface, je marche à cœur ouvert, pour ceux que j'aime...Jamais je ne me suis senti aussi dépouillé, aussi riche. Vulnérable et serein...

Le Camino est un chemin qui parle : au moment de prendre des notes, le stylo-bille a dû tomber de ma poche. Il y en a un autre dans mon sac. Le second s'est ouvert en deux et la cartouche a disparu "comment dois-je te le dire ? Arrête d'écrire et regarde !"....

A l'église de ND du bout-du-Pont, je brûle un cierge à Marie? C'est là qu'un flot de larmes me submerge, sans l'ombre d'un chagrin. J'ignore ce que je suis venu chercher, mais je l'ai trouvé... Le cœur débordant de gratitude, noyé de bonheur, je viens juste d'arriver.

 

Yves Duteil

 

La véritable raison qui me fait cheminer n'a de sens qu'en elle-même. Elle s'appelle le plaisir... Je marche par plaisir et j'en profite pour méditer.

 

Yves Paccalet

 

La marche ne consiste pas à gagner du temps,

mais à le perdre avec élégance

 

André Lebreton

Marche

Tu es né pour la route

Marche

Tu as rendez-vous

où ? avec qui ?

tu ne sais pas encore

avec toi peut-être ?

Marche

tes pas seront tes mots,

le Chemin ta chanson

la fatigue ta prière

et ton silence, enfin,

te parlera.

Marche

seul, avec d'autres

mais sors de chez toi.

Tu le fabriquais des rivaux
tu trouveras des compagnons

Tu te voyais des ennemis

Tu te feras des frères

Marche

Tu es né pour la route

celle du pèlerinage

Un autre marche vers toi

et te cherche

pour que tu puisses Le trouver.

Au sanctuaire du bout du Chemin

Au sanctuaire du fond de ton coeur

Il est ta Paix

Il est ta Joie

Va,

 

Poussière, boue, pluies, soleil brûlant
De Saint Jacques c’est le vrai chemin
Pour des milliers de pèlerins
Depuis beaucoup plus de mille ans
Qui t’a appelé cheminant ?
Quelle est la force qui t’appelle ?
Ce n’est pas un nom ; Compostelle
Ni les églises, ni les couvents
Ni la Navarre et ses torrents
Ni la Rioja et ses bons vins
Ni la Galice et ses marins
Ni les horizons castillans.
Qui t’a appelé pèlerin ?
Quelle est la force qui t’entraîne?
Ce n’est pas les coutumes anciennes
Ni les rencontres du chemin
Ce n’est l’Histoire, ni la Culture
Ni le coq de la Calzada
Ni le palais dans Astorga
Ni Ponferrada et ses murs
En passant, j’ai vu tout cela
J’en suis encore émerveillé
Mais la voix qui m’a appelé
Criait au plus profond de moi.
Quelle force m’entraîne ?
Quel espoir?
Vers quel horizon et vers quoi?
Seul le Très Haut sait le pourquoi.
A lui Règne, Puissance et Gloire !
Jean-Paul Rousseau

Les pèlerins ne sont ni des randonneurs ni des touristes ; ils n'achètent rien ; ils n'emportent rien ; ils passent en traçant un sillon éphémère dans l'imagination des sédentaires. Ils ne servent à rien sinon de relais mobiles à leurs messages pour le ciel...

 

Dans l'église, où j'étais allée mettre mes cierges, j'ai vu un sac à dos, sous le porche et un pèlerin barbu qui remplissait le livre d'or. En voilà un vrai, m'étais-je dit, un qui va dans les églises. Son sac était très gros et il avait des baskets, ce qui n'est guère recommandé. Je lui dis bonjour et lui indiquais le refuge. Mais il m'en recommanda chaudement un autre qui lui avait signalé le curé. Pourtant c'était dans le mauvais sens pour aller à St Jacques ! Il sourit : il n'était pas pèlerin mais SDF et avait cru que je l'étais aussi. Qu'est ce qui nous distinguait ? De moins gros sacs, de meilleures chaussures et surtout un but : la liberté. La condition de pèlerin est luxueuse quand on y songe.

 

Un début de tendinite le clouait sur sa chaise ...Je lui donnai des cachets et un tube de voltarène. Le lendemain il claudiqua vers moi avec un tube tout neuf qu'il avait acheté exprès.. Je lui expliquai que je n'étais pas la bonne personne : il fallait l'offrir à quelqu'un qui en avait besoin. Ainsi fonctionnait l'économie du chemin ; on ne rendait pas les choses à la personne qui vous les avait données, ça l'encombrerait ; on le faisait circuler, c'était le jeu. De fait, il n'eut aucun mal à trouver une cliente et revint me le dire, triomphalement quelque temps plus tard. Le dernière où je le vis, il s'était tellement empèlerinifié qu'il s'apprêtait à aller chercher des tomates au marché et à cuisiner des pâtes pour tout le monde en célébration de ses adieux.

 

Sur le chemin, la pauvreté n'était pas à fuir mais à rechercher. Comme la marche, elle transformait le rapport avec le temps. "Tu as la montre, et moi j'ai le temps" avait dit un berger du Mali à un copain photographe. C'était très juste. Et quand Rodrigo, la veille, déclarait qu'il aurait aimé passer toute sa vie sur le chemin, parce qu'on ne s'y embêtait pas comme en vacances où tous les jours se ressemblaient, il exprimait quelque chose du même genre ; en vacances, on passait le temps, on le tuait même parfois, alors qu'ici chaque minute était employée, occupée, vécue. Même s'il ne dépendait plus, comme au Moyen-Age de la charité publique, un vrai pèlerin était pauvre et s'il ne l'était pas, il devait s'efforcer à le devenir. Pour être en harmonie avec le chemin. L'économie du monde spirituel fonctionnant à l'inverse de l'&économie du monde matériel (plus on donne d'amour et plus on en a, par exemple), pour vivre vraiment au présent, le temps des enfants, des poètes et des mystiques, il me fallait apprendre à être pauvre.

 

 

Dans de petites boutique de village, où l'on vend un peu de tout en tout petit pour les pèlerins ; j'achetai une fiole de shampoing, deux mouchoirs en papier à l'unité et un quart de savon de Marseille local qui lave le linge et le corps. De l'autre côté, près de l'autoroute, au poste à essence, un immense supermarché vendait au contraire, pour les automobilistes, tout par douzaine dans un monde parallèle de provisions, de coffres et de familles nombreuses, comme notre chemin était parallèle à la route et à l'autoroute. Les pèlerins étaient des anti-consommateurs, même s'ils n'arrêtaient pas de bouffer...

 

Le refuge était dans un couvent..La prieure a prononcé ces mots : "Jésus a dit : je suis le chemin. Le Camino c'est le moment de rechercher un trésor, Dieu dans le silence et la solitude. Pas du tourisme." C'était beau et simple. Je n'avais pas pensé que Jésus était le chemin, pourtant elle est connue cette phrase ! Il fallait d'abord chercher Dieu et le reste était donné ; c'était écrit. Mais, en marchant, nous étions à l'intérieur même de Dieu et c'est nous qui le faisions marcher ; nous lui débouchions les artères ! Dans le grand pontage du chemin de St Jacques, nous faisions circuler le sang entre ses trois personnes, la beauté de la création paternelle, le sacrifice souffrant du Fils partagé dans la douleur quotidienne et l'amour pur de l'Esprit qui nous unissait. Peu importait que le pèlerin crût ou non en Dieu, du moment qu'il admirait le paysage, qu'il en bavait et qu'il tissait avec les autres des liens très forts, il était en plein cœur de Dieu.

 

Au premier bar, on a retrouvé Rodrigo. "Ce n'est pas bon de vieillir", soupira-t-il à la dame du café qui lui répondit du tac au tac : "Si, c'est bon de vieillir, il y a tellement de gens qui meurent jeunes! Et en plus de vieillir sur le chemin..." Elle était en noir, peut-être en deuil. Du coup, il a annoncé qu'il restait là faire la sieste pour prendre des forces.

 

A Triacastela, j'assistai à la messe la plus bizarre.... Le curé nous dit que Jésus voulait notre bonheur, qu'il fallait l'imiter et surtout ne pas nous laisser emmerder par les curés ! Après ce curieux conseil, venant de sa part, il nous donna une espèce d'absolution collective et nous embrassa tous comme du bon pain. Fin de la messe.

Rodrigo confirmant mes sources de la veille, me cita un vieux proverbes dont je le soupçonne d'être l'auteur : "Le pèlerin a trois ennemis : ses pieds, les chiens, et les curés."

 

 

En avant, route ! - Alix de Saint-André

Gallimard 2010

 


Résumé de l'esprit du Chemin

 

Écoute ton cœur. Pars avec tes questions, pars malgré tes peurs. Donne un sens à ta route. Ne demande pas "pourquoi fais-tu ce Chemin". Ne planifie pas, lâche prise, reste ouvert. Accepte les cadeaux de l'imprévu. Ose marcher seul. Laisse couler tes larmes. Ne repousse pas celui qui t'invite gratuitement. Même seul, parle, chante, prie. Cherche tes réponses dans l'odeur de fraternité de la terre mouillée. Le silence est un cadeau à celui qui sait l'écouter. Un pèlerin qui fait bien son sac est un pèlerin qui le vide. Le chemin le plus court n'est pas le plus direct. L'esprit mendiant, c'est accepter de recevoir de l'autre. Un pèlerinage qui s'achève est un chemin qui s'ouvre.

 

Gaêle de La Brosse